Transcription épisode 1
Ceci est la transcription de l’épisode 1 de Nolotec Podcast.
Pour aborder les débuts de la société Apple, nous aurions pu commencer aux États-Unis, dans la petite ville de Cupertino dans la Silicon Valley, comme pour pratiquement chaque start-up. À la place, nous allons à l'autre bout du monde, dans le Moyen-Orient, en Syrie, pour parler du père biologique de Steve Jobs.
C'est en Syrie, qu'est né Abdulfattah Jandali en 1931. Il est le dernier-né d'une grande famille de 9 enfants. Il est le fils d'un grand propriétaire terrien, certaines sources disent qu'il aurait été millionnaire et possédait des terres qui couvraient des villages entiers. La famille de Jandali veut la meilleure éducation pour ses enfants et c'est pour cela que, bien que musulman, Abdulfattah Jandali ira dans une école jésuite.
Par la suite, il quitte la Syrie pour faire ses études au Liban à l'université américaine de Beyrouth, voulant continuer ses études dans les meilleures universités.
Il part alors en 1954 aux États-Unis pour aller dans l'université de Columbia à New York. Par la suite, il changera l'université pour aller dans celle du Wisconsin, pour finaliser ses études avec un doctorat en économie et sciences politiques. Nous voyons donc bien que Abdulfattah Jandali, qui je le rappelle est le père biologique de Steve Jobs, est bien loin de l'image d'Épinal d'immigré clandestin sans un sous qui arrive avec juste les vêtements sur son dos. C'est le fils d'une famille riche et il fait des études longues et complexes. En même temps qu'il passe son doctorat, il rencontre une jeune étudiante qui s'appelle Joanne Schieble. Au fur et à mesure du temps se forme une relation amoureuse entre les 2 jeunes gens qui ont alors entre 22 ans. Souhaitant mieux connaître les origines de son compagnon, Joanne Schieble part en voyage en Syrie avec Jandali. Au cours de ce voyage, elle tombe enceinte. Les voyages forment la jeunesse et apparemment rapprochent aussi les corps.
Cela va poser un très gros problème au sein de la famille Schieble parce que son père est un catholique très conservateur et il ne déconne pas avec la religion. Il va s'opposer au mariage. Il ne voit pas du tout d'un bon œil cette union avec un étranger qui est en plus musulman. Auparavant, il avait déjà partagé sa claire désapprobation à propos d'une relation que sa fille avait eu avec un jeune garçon qui n'était pas catholique.
Avant même qu'elle tombe enceinte, le père de Joanne Schieble menace sa fille de lui couper les vivres et de la déshériter si elle marie Jandali. Le fait qu'elle soit enceinte n'arrange en rien les relations avec son père, bien au contraire.Il faut se remettre dans le contexte des années 50. À cette époque, l'avortement est illégal aux États-Unis (il faudra attendre l'année 1973 pour qu'il soit légal et encore pas dans tous les états). Certaines femmes prennent quand même le risque de subir un avortement illégal dans des conditions d'hygiène déplorables. Malheureusement, elles ne sont pas rares à mourir lors de l'avortement ou d'infection par la suite.
Non seulement l'avortement est interdit mais l'accès à la contraception n'a rien à voir avec l'accès à la contraception que l'on a de nos jours. L'avortement n'est pas une solution possible du fait que le père de Joanne Schieble est un fervent catholique et donc idéologiquement contre.
Donc la seule solution dans les années 50 est d'envoyer sa fille dans une communauté catholique. Joanne Schieble part donc loin de chez elle, à San Francisco, pour la fin de sa grossesse, dans un centre pour mères célibataires. Le principe est simple, ce centre accueille des jeunes femmes enceintes mais qui ne veulent pas, ou qui ne peuvent pas, garder leur enfant. Le centre s'occupe des futures mères et aussi de mettre en adoption les enfants, et cela de manière discrète.
Joanne ne veut pas que son enfant soit adopté par n'importe qui, elle veut que les personnes qui vont adopter son enfant aient fait des études universitaires. Malheureusement, le couple choisi se désiste au dernier moment, voulant une fille. Or, l'enfant qui naît est un garçon. C'est alors un couple d'ouvriers, Paul et Clara Jobs, qui vont adopter le petit garçon.
Apprenant cela, Joanne refuse de signer les papiers d'adoption, et ce pendant plusieurs semaines, prétextant que n'ayant pas de diplôme universitaire, ils ne correspondent pas au profil recherché pour son enfant. Ce qui est bizarre, c'est que pendant que Joanne Schieble refuse de signer les papiers, le petit bébé est déjà dans la maison de Paul et Clara Jobs. Finalement, au bout de plusieurs semaines, elle va signer les papiers, à condition que les Jobs économisent suffisamment d'argent pour pouvoir payer des études universitaires du petit garçon.
Ceci étant, il y a sans doute une raison beaucoup plus probable sur l'hésitation de Joanne Schieble à laisser son enfant à Paul et Clara Jobs. En effet, son père est gravement malade et tout porte à croire qu'il ne lui reste pas beaucoup de temps à vivre.
On peut imaginer qu'elle espère, si l'on peut dire, que son père meurt rapidement pour pouvoir ensuite garder son enfant. Imaginez la situation horrible d'espérer la mort de son père pour pouvoir marier l'homme qu'elle aime et pouvoir élever l'enfant qu'elle vient de mettre au monde. C'est ainsi que Steve Jobs naît le 24 février 1955. Pour information, le père de Joanne Schielbe, Arthur, meurt 6 mois plus tard, en août 1955.
Ce qui est terrible dans cette histoire, c'est que Joanne Schieble va se marier avec Abdulfattah Jandali en décembre 1955, soit 10 mois après avoir abandonné Steve Jobs.
Autre élément sidérant, non seulement Joanne et Abdulfattah vont se marier, mais ils vont avoir un deuxième enfant, Mona, qui va naître en juin 1957. Elle est donc génétiquement la sœur biologique de Steve Jobs. D'ailleurs, par la suite, elle deviendra une écrivaine connue et reconnue. Elle va rencontrer Steve Jobs au milieu des années 80, elle en fera un livre appelé A Regular Guy.
Malheureusement, Abdulfattah Jandali et Joanne Schieble vont divorcer quelque temps après. En effet, malgré l'obtention de son doctorat, Abdulfattah Jandali doit retourner en Syrie à cause de difficultés financières. Ainsi, le couple divorce quelques années plus tard, sans doute à cause de l'éloignement.
Ainsi, Steve Jobs est le fils biologique abandonné d'un père syrien musulman et d'une mère américaine catholique d'origine allemande.
Steve Jobs
Très tôt, les parents adoptifs de Steve Jobs se rendent compte que leur enfant est hyper actif (il se lève tous les jours vers 4 heures du matin) et adore faire des bêtises. L'arrivée de sa sœur deux ans après sa naissance, elle aussi adoptée, ne calmera pas les choses.
Steve Jobs donne du fil à retordre à ses parents, d'autant plus qu'il ne supporte pas l'autorité. Parmi ses bêtises, on peut noter la fois où il envoie un camarade à l'hôpital après lui avoir demander de gouter du poison pour fourmi.
Autre exemple : le petit Jobs est curieux et ne comprend pas pourquoi on lui interdit certaines choses, comme insérer des objets métalliques dans les prises de courant. Il va faire l'expérience par lui-même et en recevra de belles brulures. Déjà, il n'aime pas qu'on lui dise que certaines choses sont interdites ou impossibles.
Steve Jobs sait très tôt qu'il est adopté : ses parents sont très ouverts à ce sujet. Cependant, à 7 ans, une expérience le marque. Une copine, apprenant qu'il est adopté, lui demande alors si ses parents biologiques l'ont abandonné parce qu'ils ne le voulaient pas. Cela le blesse profondément car il n'avait jamais pensé à cela de cette manière. Du coup, il rentre chez lui en pleurant. Heureusement, ses parents le rassurent en lui disant : tu ne comprends pas, tu as été spécifiquement choisi, et cela ils le répètent à l'envi plusieurs fois, le regardant droit dans les yeux afin qu'il comprenne bien ce qui se passe.
Ils se sent donc abandonné, mais d'une certaine manière aussi choisi, comme s'il était un peu spécial. Un de ses amis proches, Dan Kottke qui fera partie de l'équipe de départ d'Apple, dira qu'être orphelin le pousse à se prouver à lui-même qui vaut le coup.
Dans son éducation, très jeune, il est marqué par son père manuel qui retape des voitures pour les revendre. Il est en admiration devant cette capacité à travailler de ses mains. C'est de son père qu'il retiendra le fait qu'un menuisier choisira le meilleur bois pour un meuble, même pour celui qui sera face au mur, même si personne ne s’en aperçoit. Car le menuisier, lui, le sait.
Rapidement, il se rend compte qu'il est plus intelligent que ses parents. Il le sait et ses parents le savent aussi. Il aura donc tendance à les faire tourner en bourrique. Précoce, il s'ennuie tout le temps à l'école. Du coup, pour tromper l'ennui, il fait des bêtises, comme par exemple faire des mini bombes, sorte de gros pétards qu'il fait exploser dans le couloir de l'école. Un jour, ils ramènent même des serpents pour les libérer dans la classe. On savait se marrer à l'époque.
Steve Jobs dira lui-même : " je m'ennuyais à mourir à l'école et du coup, je suis devenue une petite terreur". Et en disant cela, on imagine bien son petit sourire en coin... Son comportement à l'école pose évidemment problème. Il sera exclu à de multiples reprises. Encore une fois, on voit qu'il a un problème avec l'autorité. La seule fois où il aura de bons résultats à l'école, c'est quand il tombera sur une enseignante qui comprend exactement comment il fonctionne. Pour le motiver, elle va tout simplement le soudoyer en lui donnant de l'argent s'il finit livre d'exercice. Elle a trouvé la bonne solution. Le résultat est probant, il saute la 6e grâce à ses excellents résultats. Malheureusement, sa nouvelle école n'est pas conçue pour gérer les élèves précoces et rapidement, Steve Jobs ne veut plus y aller.
À l'école, tous ses camarades de classe sont plus vieux que lui et il devient un peu la tête de turc. Du coup, à 11 ans, il demande à changer d'école à ses parents. Ses parents, évidemment, refusent alors il se braque et ne va plus à l'école.
Le bras de fer tourne à l'avantage du petit Steve qui pousse ses parents à déménager. Il démontre déjà une force de caractère hors du commun, ou alors c'est juste un gamin très chiant, à voir... Il a de la chance. Ses parents déménagent à Los Altos, qui est une petite ville qui est au beau milieu de la Silicon Valley. Cela va lui permettre, à l'adolescence, d'avoir accès facilement et gratuitement à du matériel électronique grâce à ses voisins qui sont tous des fils d'ingénieur de grandes sociétés. Grâce à sa passion pour les technologies et l'électronique en particulier, il aura tendance à se faire des amis beaucoup plus vieux que lui.
Non seulement cela lui permet d'apprendre beaucoup de choses, mais cela lui ouvre de nouvelles perspectives. Il découvre de nouvelles idées, politiques et sociales notamment avec la contre-culture, mais aussi il découvre des drogues, tels que le LSD, le cannabis ou encore les champignons hallucinogènes. Il en fera d'ailleurs l'apologie régulièrement. À propos du LSD, il dit : en consommer a été l’une des meilleures choses que j'ai faites dans ma vie”. Dans le même esprit, il tacle son ennemi de toujours, je cite : "Bill Gates aurait l’esprit bien plus ouvert si, plus jeune, il avait essayé l’acide une fois ou s’il s’était rendu dans un ashram". Je rappelle, à tout fin utile, que prendre de la drogue comporte des risques importants pour la santé, d'autant plus quand on ne connait pas l'origine du produit. De toute façon, en matière de santé, j'éviterais de prendre conseil auprès de Steve Jobs.
Steve Jobs se cherche beaucoup, entre complètement dans la contre-culture, et devient un baby-boomer presque caricatural. Il écoute les Beatles, Bob Dylan et les Grateful Dead, lit les philosophes et gourou orientaux. Il en retiendra qu'il faut tout remettre en question, notamment l'autorité, qu'il faut expérimenter, faire son propre chemin, etc.
Alors qu'il fait partie du club des explorateurs de Hewlett-Packard, il rencontre un ordinateur pour la première fois et adorent toutes les possibilités qui lui sont offertes.
Pour un projet, il a besoin d’un produit précis, alors il n’hésite pas à appeler le président de HP, Bill Hewlett, pour lui demander du matériel. Ce dernier accepte et en profite pour lui donner du travail pour l’été. Ce culot dont fait preuve Steve Jobs est un trait majeur de sa personnalité, à de nombreuses reprises, il n'hésitera pas à oser constamment, à la surprise générale la plupart du temps.
En plus du travail d'été chez HP, il décroche un boulot de vendeur chez Haltek qui est un magasin qui vend des pièces électroniques invendables normalement. Ces pièces sont généralement rejetées pour des problèmes de qualité comme un défaut esthétique tel qu'une peinture mal appliquée.
Jobs connait les prix par cœur, ce qui lui servira par la suite pour négocier avec les différents fournisseurs au nom d'Apple. Il les gardera en mémoire jusqu'à sa mort tellement cela l'a marqué.
Bill Fernandez est une connaissance de Jobs qu'il croise régulièrement à la boutique Haltek. Fernandez travaille avec Steve Wozniak sur l'élaboration d'un ordinateur. C’est ainsi que les deux cofondateurs d'Apple, Steve Jobs et Steve Wozniak, se rencontrent.
Steve Wozniak
Parlons-en d'ailleurs de Steve Wozniak. Steve Wozniak est né d'un père d'origine polonaise et d'une mère d'origine allemande. Nous sommes en plein melting pot américain chez Apple. Son père est ingénieur chez Lockheed, qui est une société spécialisée dans l'armement aux États-Unis.
Pendant longtemps, Steve Wozniak, que ses amis appellent affectueusement Woz, n'a jamais su quel était le travail de son père. Mais après sa mort, il apprend qu'il travaillait sur un projet Top Secret, le système de navigation des missiles balistiques, notamment ceux envoyés depuis des sous-marins nucléaires.
Le père de Steve Wozniak avait une caractéristique précise, il ne mentait jamais, comme George Washington. Woz va hériter lui aussi de ce trais de caractère : il ne ment jamais, sauf pour une raison précise.
Il adore préparer des canulars et c'est uniquement pour les élaborer qu'il peut arriver qu'il mente. Woz est un enfant intelligent et très curieux. Il pose beaucoup de questions à son père et cela constamment. Cependant, alors que certains parents peuvent être fatigués à la longue par le harcèlement constant de leurs enfants, son père répond toujours aux questions. Non seulement avec patience, mais aussi avec précision. N'hésitant pas à aller jusqu'au niveau moléculaire puis atomique pour expliquer par exemple l'électricité et l'électronique.
Si certains enfants auraient été un peu rebutés par le niveau de détails des réponses, ce n'est pas du tout le cas du petit Woz qui enregistre absolument toutes les informations que lui donnent son père. C'est ainsi que très tôt, il emmagasine une quantité d'information exceptionnelle pour son âge. Il utilisera ces connaissances aussi pour régulièrement faire des canulars et parfois ça peut déraper.
Par exemple, alors qu'il fabrique un métronome électronique, il se rend compte qu'il fait le même bruit qu'une bombe. Naturellement, cela lui donne l'idée de fabriquer une fausse bombe et de la laisser dans son casier à l'école.
Le son de sa fausse bombe est un TIC TIC qui s'accélère. La police est appelée et c'est la panique. Pour avoir causé une fausse alerte à la bombe, Woz est envoyé en centre de détention pour adolescents pour la nuit.
Au lycée, il devient de plus en plus solitaire. Il n'est pas cool : il ne boit pas d'alcool et ne prend pas de drogue. Il se terre donc souvent seul dans sa chambre. Et pour passer le temps, il décrypte des schémas électroniques des produits qu'il possède et essaye de les améliorer. Il se rend compte qu'il peut perfectionner drastiquement le fonctionnement de la plupart des outils électroniques qu'il rencontre. Sa passion, c'est l'optimisation. Il adore prendre un schéma électronique et essayer de refaire la même chose, mais avec beaucoup moins de puces.
Au final, il arrive souvent à diviser le nombre de puces par 2. Il devient alors, selon lui, un des meilleurs experts en électronique au monde, à l'âge seulement de 17 ans. Même si cette affirmation peut faire sourire et paraître optimiste, la suite démontrera qu'il n'était pas forcément un des meilleurs experts dans le domaine, mais qu'en tout cas, il se défendait pas mal.
A l'université, il passe trop de temps à faire des canulars. Par exemple, il fait imprimer à toutes les imprimantes du campus une page avec écrit avec en gros "FUCK NIXON", alors président des États-Unis. Il écrit aussi un programme pour calculer la suite de Fibonacci. Malheureusement, cela prend tout le temps de calcul de l'ordinateur central, empêchant tout le monde, étudiant et enseignant, de travailler. Bref, l'université n'est pas faite pour lui.
En la quittant, il trouve un travail chez une des plus grandes entreprises de l'informatique à l'époque, Hewlett-Parckard appelée aujourd'hui HP. Un de ses collègues se prend d'amitié pour lui et lui donne des puces électroniques régulièrement. Il commence alors à construire son propre ordinateur avec un ami à lui, Bill Fernandez. Lors du développement, Steve et Bill boivent sans cesse une boisson appelée Cream Soda.
Afin de gagner un peu d'argent, ils font des allers-retours en vélo pour ramener les bouteilles en verre et encaisser la consigne. En hommage, ils décident de nommer leur ordinateur le Cream Soda Computer. Ce n'est pas une machine bien évoluée, on pourrait la comparer à une grosse calculatrice qui affiche les résultats des calculs en binaire à l'aide de diodes. Cependant, Fernandez et Woz sont très fiers de leur travail et ils peuvent l'être.
Une fois l'ordinateur terminé, Fernandez invite un ami à lui, Steve Jobs, pour lui montrer le résultat de son travail. De plus, il trouve que Woz et Jobs pourraient bien s'entendre car ils ont 2 passions communes, l'électronique et les canulars.
Steve Jobs dira par la suite : "Woz est la première personne que j'ai rencontrée, qui en savait plus que moi sur électronique". Ici, Jobs surestime sa propre expertise dans le domaine. Il continue : "je l'ai tout de suite apprécié. J'étais un peu plus mûr que mon âge et il était un peu moins mûr que le sien, donc ça s'est équilibré. Woz était très brillant, mais émotionnellement il avait mon âge".
Le succès d'une entreprise ne tient pas à grand-chose : il faut avoir la bonne idée au bon moment avec les bonnes personnes et bien les exploiter.
Malheureusement, tous ceux qui ont réussi oublient un facteur déterminant quand ils racontent leur histoire, c'est la chance. Les chefs d'entreprise dans les différents livres qu'ils écrivent, disent toujours la même chose : ils avaient raison avant tout le monde, ils ont travaillé plus dur que tout le monde, ils ont fait plus de sacrifices que tout le monde et généralement, ils sont aussi plus intelligents que tout le monde.
Mais c'est souvent la chance qui différencie les entreprises qui réussissent de celles qui échouent. Alors que certains préféreront appeler cela des opportunités, on parle ici de la même chose. Prenons l'exemple du Micral N, qui est connu comme étant le premier PC au monde. Cet ordinateur français est sorti en 1972. Malheureusement, il n'avait aucune chance de succès. Premièrement parce qu'il arrive trop tôt et donc la technologie n'est pas assez mature. Deuxièmement, c'est un produit français. Or la France n'a pas le tissu industriel et logiciel pour faire vivre une telle plateforme. De plus, tout le tissu d'investisseurs que l'on trouve aux États-Unis n'existe pas, ou alors dans une forme bien moins efficace, en France.
Enfin, les concepteurs du Micral n'ont pas accès à autant de fournisseurs que les entreprises basées dans la Silicon Valley.
Dans le cas d'Apple, la chance a joué un rôle prépondérant. Premièrement, les fondateurs vivent dans la Silicon Valley, une région où de nombreuses sociétés technologiques sont concentrés. Cela permet à Jobs et Woz d'avoir une culture technique assez conséquente, la proximité de société de pointe leur permet d'avoir accès facilement à du matériel dernier cri pour apprendre et expérimenter. Le concept même de start-up est née dans la Silicon Valley, quand la société Hewlett-Packard a été créée dans un garage.
Deuxièmement, Steve Jobs est né en 1955. À cette époque, pour réussir en informatique, il faut en gros avoir 20 ans en 1975. Ceci est un avantage certain. C'est l'année d'arrivée des tout premiers microprocesseurs abordables. Trop jeune, on ne peut pas participer à la révolution. Si vous êtes né après 1955, vous êtes déjà dans la vie active et créer une start-up est un trop gros risque. C'est d'ailleurs le cas de Woz qui est né en 1950 et travaille chez HP. Il hésitera alors longtemps avant de démissionner pour se consacrer à plein temps à Apple, alors que Jobs est un étudiant sans attache. On peut citer d'autres personnes qui sont nées en 1955 et qui ont participé à la révolution de l'informatique comme Bill Gates (patron de Microsoft et pendant longtemps l'homme le plus riche du monde), Tim Berners-Lee créateur du web, Eric Schmidt (ancien de Sun et Novell qui a été le premier CEO de Google), James Gosling (créateur du langage Java) ou Bill Joy co-fondateur Sun / et créateur du système BSD qui est lui né fin 1954.
Enfin, dernier coup de chance, Jobs et Woz se rencontrent par hasard grâce à un ami commun. Sans cela, Apple ne sera jamais née. Ils ont l'avantage d'être complémentaire : d'un côté on a Woz qui est un génie de l'électronique et de l'autre Jobs qui pour l'instant n'apporte pas grand-chose, si ce n'est son bagou et sa volonté hors norme.
Blue Box
La première collaboration entre Woz et Jobs prend une forme inattendue : alors que Woz lit un article sur les fréquences téléphoniques de services, il apprend qu'il est possible de faire un gadget qui permet d'utiliser ses fréquences et d'en abuser pour, par exemple, téléphoner gratuitement. A l'époque, il y avait un abonnement téléphonique et en plus de cet abonnement, il fallait payer chaque communication à la minute. Plus on téléphonait loin, plus le prix à la minute était élevé.
Une des personnes qui a réussi à fabriquer un tel gadget, appelé BlueBox, s'appelle John Draper, mieux connu sous son alias de Captain Crunch.
Il a fabriqué un boitier qui se branche sur le téléphone et à la ligne téléphonique, permettant ainsi que téléphoner gratuitement partout dans le monde en générant les fréquences de services.
Son nom de pirate, Captain Crunch, vient du nom des céréales dans lesquels il aurait trouvé comme cadeau un sifflet qu'il modifiera afin de jouer la note de 2600 Hz qui permet les appels longue distance gratuitement. D'autres fréquences existent. Toutes se retrouvent dans le même document qui s'appelle le Bell System Technical Journal.
Apprenant cela, Woz et Jobs se ruent dans la bibliothèque municipale pour accéder au Bell System Technical Journal. Comme c'est dimanche, la bibliothèque est fermée. Cela ne les empêche d'y rentrer en passant par une porte dérobée qu'ils savent être constamment ouverte.
Avec le journal, ils sont capables de faire leur propre BlueBox. Woz se donne le défi de faire sa propre version qui sera totalement numérique, une première. Cela lui permet, en théorie, de faire une BlueBox plus petite, plus fiable et moins chère. La Blue Box analogique coûtait plus de 1500 $ à fabriquer, alors que celle de Woz coûtera à peu près 40 $. Ce projet plaît aux Steve car cela englobe tout ce qu'ils aiment, l'électronique, le côté un petit peu subversif et antiestablishment. Une fois la Blue Box terminée, Woz est très content du résultat. Par la suite, malgré tous ces projets sur lesquels il a travaillé, Woz dira que c'est la Blue Box dont il est le plus fier.
Au départ, Woz veut juste partager les plans avec ses amis et ses connaissances. C'est Jobs qui a l'idée d'en produire afin de les vendre. En les vendant 150 $ pour un cout de revient de 40 $, ils arrivent à se faire un petit pactole.
La clientèle est principalement des étudiants. En effet, la plupart des étudiants quittent leur logement familial pour déménager sur le campus de leur université qui peut se trouver à plusieurs centaines voire milliers de kilomètres de leur ville d'origine. Le budget pour les appels téléphoniques est alors conséquent.
Le mode de vente est simple : ils vont sur les campus universitaires et font une démonstration dans une chambre. Un appel est devenu légendaire quand Woz, toujours prêt à faire l'idiot, appelle le Vatican en se faisant passer pour Henri Kissinger. Il mettra rapidement fin à l'appel quand un des responsables du Vatican s'apprêtait à réveiller le pape en personne.
Le succès s'arrête net quand Jobs se fait braquer avec une arme à feu sur un parking alors qu'il s'apprêtait à faire une vente. Jobs et Woz se rendent compte qu'ils ne peuvent pas faire appel à la police car ce qu'ils vendent est illégal, même si cela se base sur des informations librement accessibles.
Steve Jobs dira plus tard, lors d’une interview : « Si nous n’avions pas construit la Blue Box, il n’y aurait pas eu Apple ». Cette expérience lui permet de comprendre qu’avec un bon produit, on peut changer la vie des gens et gagner sa vie avec.
Au final, à peu près 200 Blue Box auront été fabriquées. Jobs est alors en terminal et le succès de la Blue Box l'a presque poussé à arrêter l'école.
Jobs à l'université
Cependant, il se résigne à aller à l'université. Comme à son habitude, il va faire plier ses parents. Il veut aller à l'université de Reed alors qu'elle est non seulement payante mais aussi l'une des plus chères du pays. Or, ses parents n'ont pas les moyens. De plus, Reed se situe très loin de là où habitent les Jobs, donc il faudra trouver un logement ce qui ajoute des frais supplémentaires.
Malgré cela, Jobs n'en démord pas et pose alors un ultimatum à ses parents : soit c'est Reed, soit il refuse d'aller à l'université. Ses parents finissent par céder, encore une fois.
Reed est une université connue pour ses accointances avec le milieu hippie et de la contre-culture. C'est ce qui intéresse le jeune Jobs : il ne va pas à l'université pour se former mais pour se trouver.
Néanmoins, le cursus de première année au final ne l'intéresse pas et il abandonne rapidement. Il ne retourne pas tout de suite chez ses parents et reste sur le campus car sa chambre est payée pour l'année. Il décide alors de participer aux cours qui l'intéresse même si cela ne fait pas parti de son cursus de première année.
Il est impressionné par les belles affiches collées un peu partout sur le campus. Elles sont faites par des étudiants en calligraphie de l'université. En effet, un cours de calligraphie, qui est un des tous meilleurs du pays, y est enseigné par un professeur réputé. Ce qui attire Jobs, outre la qualité des affiches, est le fait que cette enseignante a aussi été, dans une précédente vie, moine trappiste pendant 18 ans. Jobs, lui aussi, se pose la question de devenir moine (comme je l'ai dit, il se cherche encore). En participant à ce cours, Jobs sera sensibilisé aux polices de caractères avec leurs différentes caractéristiques comme le serif ou encore le crénage de la police ; c'est-à-dire l'espace créé entre les lettres, et autre. Tout cela se retrouvera plus tard dans le Macintosh original.
Rapidement, il se trouve sans un sou. Il est alors obligé de rendre sa chambre universitaire et se met à dormir chez des amis à même le sol. Il récupère de l'argent en ramenant les bouteilles en verre à la consigne et va manger dans un temple Hare Krishna, une fois par semaine, pour avoir un repas chaud gratuit.
Ouvrons une petite parenthèse à propos de son régime alimentaire. À partir de l'université, il devient végan. Cependant, il avait déjà par le passé une relation complexe avec la nourriture. Il faisait souvent des jeûnes de plusieurs jours. Il avait aussi l'habitude de ne manger qu'un aliment pendant des semaines, comme par exemple des carottes ou des pommes. À tel point qu'il apparait bronzé en plein hiver à cause de la quantité phénoménal de carottes ingérée.
Cela empire après la lecture d'un livre sur un régime spécial (Mucusless Diet Healing System par Arnold Ehret). Ce livre préconise un régime où l'amidon est proscrit, à base de fruits et de légumes qui éviterait au corps de générer du mucus. Ce régime demande aussi de faire des jeûnes prolongés pour soigner et purifier le corps. Vous voyez le genre.
Ses visites au temple Hare Krishna lui donnent envie d'aller en Inde pour devenir moine. Cependant, il quitte l'université en 1974 pour revenir chez ses parents car il n'a plus d'argent. En parallèle, Steve Wozniak revient lui aussi dans la Silicon Valley pour travailler chez HP. L'expérience de Jobs à l'université aura une grande influence, à tel point qu'il appellera son fils du même nom : Reed.
Jobs et Atari
Ayant besoin d'argent, Jobs parcourt les petites annonces et tombe sur celle pour Atari avec un titre accrocheur : Have fun, make money. Amusez-vous, gagnez de l'argent.
Il arrive dans les locaux habillé comme d'habitude, c'est-à-dire en hippie donc pas vraiment le genre de vêtement à mettre pour un entretien. Il avait l'habitude de se balader en short et pied nu par exemple. Et il a le culot de s'annoncer en disant qu'il ne partirait pas avant d'avoir été embauché. Avant de se faire virer manu militari, le patron d'Atari se prend d'affection pour lui et l'embauche.
Mal lui en a pris. Jobs a la fâcheuse tendance d'insulter les autres employés à tout va en les traitant d'idiots (dumb shits dans la version originale). Habitude qu'il gardera toute sa carrière. De plus, il croit que son régime alimentaire l'empêche de générer du mucus et donc, dans sa logique, de sentir mauvais. Il croit donc qu'il peut éviter de se laver et de mettre du déodorant. Il se trompe : il pue tellement que les employés d'Atari s'en plaignent.
Le patron d'Atari, le légendaire Nolan Bushnell, le protège et décide de le mettre dans l'équipe de nuit où il croisera moins de monde. Il voit en lui un entrepreneur comme lui car il ne s'intéresse pas qu'au côté technique et aux jeux vidéos. Jobs pose beaucoup de questions concernant tout le reste : le marketing, la gestion de stock, les relations avec les fournisseurs et les banques, etc.
Jobs retiendra des leçons de son passage chez Atari : par exemple le fait d'avoir une interface simple et intuitive, compréhensible en quelque secondes. Il écoute aussi tous les conseils de Bushnell qu'il appliquera par la suite.
Malgré tout, Jobs s'ennuie. En effet, son travail n'est pas très intéressant. Il a pour rôle de monter des bornes d'arcade pour les jeux Atari de l'époque tel que Pong et ou Gran Trak 10.
Il veut démissionner pour aller en Inde. Atari lui propose de lui payer une partie du voyage à condition qu'il aide un distributeur en Allemagne qui a des problèmes avec les alimentations des bornes. Le deal est passé et il part en Inde avec une escale au pays de Schumacher.
Jobs ne trouve pas ce qu'il cherche en Inde. Il voulait une révélation spirituelle, il n'en sera rien. Cela ne l'empêche pas de vouloir donner un sens à sa vie. Au cours de son voyage, il se rend compte qu'Edison, grâce à ses inventions, a fait plus pour l'humanité que n'importe quel Yogi ou philosophe. Il décide alors de changer le monde en créant une entreprise qui des produits qui changeront le monde.
Il revient chez Atari en robe couleur safran et le crane rasé : il demande à récupérer son travail. Il en profite pour reprendre contact avec Woz.
Woz vient le soir chez Atari, après son travail, pour jouer gratuitement aux bornes d'arcade en cours de production (notamment Gran Track 10 qui est le premier jeu de voiture avec un volant). Bushnell le remarque et sait en profiter : il propose à Jobs un marché. En effet, Atari développe le jeu Breakout qui est particulièrement complexe et demande beaucoup de puces. Il propose la chose suivante à Jobs : s'il arrive à redessiner la carte logique du jeu avec des puces en moins, il aura un bonus : 100 $ pour chaque puce économisée par rapport au design original.
Or, Bushnell sait que les connaissances de Jobs sont limitées. Il pense qu'il demandera de l'aide à Woz, ce qu'il fait. Or, Jobs dit à Woz que le bonus est de 700 $ qu'il divise en deux, donc 350 $ pour Woz. Cependant, au final, le bonus est beaucoup plus important (les sources parlent de 1000 à 5000 $ de prime).
Toujours est-il que Jobs a arnaqué Woz. Woz l'apprendra des années plus tard et sera terriblement déçu. C'est donc la deuxième fois, après la Blue Box, que Jobs et Wozniak travaillent ensemble sur un projet technique. Ce n'est que le début et le meilleur est à venir.