Transcription épisode 7

Ceci est la transcription de l’épisode 7 de Nolotec Podcast.

Je raconte l'histoire du Macintosh en plusieurs épisodes, celui que vous êtes en train d'écouter est le deuxième de la série. Si vous n'avez pas écouté l'épisode précédent, le numéro 6, je vous conseille de le faire. Bon, après, vous faites ce que vous voulez. Je ne suis pas votre mère.

Dans l'épisode précédent, nous avons vu que Jobs a récupéré la direction de l'équipe Macintosh au dépend de Jef Raskin. Cependant, il n'est pas dupe, il sait que Scott lui donne une équipe afin qu'il ne mette pas la pagaille ailleurs. Mais ce n'est pas grave, avec sa petite équipe d'artiste-pirate, il va leur montrer ce dont il est capable.

Jobs repense totalement ce que doit être le Macintosh. Il veut que le Macintosh soit un Lisa abordable. Il part en croisade contre tout le monde, notamment contre les autres employés d'Apple, en premier lieu l'équipe du LisaIl dit même que créer le Mac est une mission divine pour sauver Apple. Il met constamment en avant l'équipe Macintosh en disant à qui veut l'entendre que c'est une équipe d'artistes. Il pousse d'ailleurs les ingénieurs à s’inspirer d’autres artistes. Par exemple, quand ils déménagent au milieu de l'année 1983 dans un grand bâtiment appelé Brandley 3, Jobs gare sa moto, une BMW, dans un coin de l’atrium afin d'exposer son design et ainsi inspirer ses collègues. Dans l’autre coin, on trouve un magnifique piano Bösendorfer. Chaque personne de l’équipe a une carte avec des titres farfelus comme : « hardware wizard » (magicien du matériel) pour Burrell Smith, « software wizard » (magicien du logiciel) pour Andy Hertzfeld, ou encore « Macintosh artist » pour Susan Kare. Les salles de conférences portent le nom d’artistes comme Picasso ou Matisse. Tout est fait pour donner l’impression que l’équipe Macintosh est exceptionnelle. 

Bien qu'ils soient des artistes, ils ont besoin de prendre des pauses. Jobs leur a permis d'acheter une chaine Hi-Fi dernier cri avec un lecteur CD, chose rare et chère à l'époque. Jobs amène aussi plus de 100 CD, sans doute tous les CD disponibles à ce moment-là. Hertzfeld et Smith achètent deux bornes d'arcade pour des parties endiablées de Defender et de Joust. 

Pour motiver les troupes, Jobs organise tous les 6 mois une retraite dans un hôtel loin des locaux d'Apple. Chaque retraite a son thème comme : le voyage est la récompense, les vrais artistes livrent leur art à temps ou encore un Mac dans un livre en 1986, etc.

Artiste, pirate et drapeau

Jobs considère non seulement l'équipe Macintosh comme des artistes mais il les compare aussi à des pirates. Un des thèmes important d'une des retraites est : il vaut mieux être un pirate que de s'engager dans la marine. Si l'équipe Macintosh est un ramassis de pirates, qui sont la marine ? Eh bien, c'est tout le monde. C'est IBM, c'est l'équipe Lisa, c'est Mike Scott et Markkula qui empêchent Jobs de faire ce qu'il veut, c'est tous ceux qui s'opposent à lui au final.

L'équipe Macintosh adore ça, ils ont totalement intégré cette image d'artiste/pirate. À tel point qu'un jour, quelqu'un met sur le toit de leur bâtiment un drapeau de pirate. Flotte alors l'image d'un crane barré par des tibias avec un cache-œil qui n'est autre que le logo coloré d'Apple. 

Le drapeau est ensuite kidnappé au bout de quelque semaines par des membres de l'équipe Lisa qui envoient une lettre de rançon pour que l'équipe puisse le récupérer.

Beaucoup au sein d'Apple n'aiment pas trop cela, Jobs fait en quelque sorte un doigt d'honneur au reste de l'entreprise. Cependant, Jobs adore cet esprit et fera tout pour que ce drapeau flotte fièrement sur le bâtiment de l'équipe Mac.

Recrutement

Difficile de recruter quand on veut qu'une équipe d'artistes/pirate, d'autant plus dans le milieu de l'informatique. Jobs fait très attention aux personnes qu'il embauche, il a la peur panique d'embaucher des personnes pas au niveau qui elles-mêmes torpilleront son équipe. Il recherche non seulement les meilleurs, les plus créatifs, les plus intelligents mais aussi il veut un profil un peu rebelle. Comme technique d'entretien, il demande aux personnes qu'il recrute de jouer aux jeux vidéo pour voir si la personne cherche une façon originale de gagner par exemple.

Lors d'un entretien géré par Hertzfeld et Smith, Jobs passe voir comment cela se passe. Il est évident que le candidat n'a pas le profil recherché, il est bien trop propre sur lui et coincé. Avec une certaine cruauté, Jobs se met à jouer avec lui pour le mettre mal à l'aise avec des questions du style : êtes-vous vierge ? Avez-vous déjà pris de la drogue ?

Le candidat, complètement confus et mal à l'aise, se met à bégayer et Jobs ne trouve rien de mieux que de se moquer de lui en faisant la dinde.

Macintosh par Jobs

En parallèle des différents recrutements, Jobs repense totalement le Macintosh. On garde l'idée de départ d'ordinateur tout-en-un fermé pour le grand public, mais le reste évolue rapidement. 

En effet, bien que multi-millionnaire et co-fondateur d'une entreprise au succès historique, Steve Jobs est frustré : il veut créer son propre ordinateur. Woz a fait le sien avec l'Apple II, Jobs veut faire de même. Il veut montrer à tout le monde que Woz n’est pas le seul génie chez Apple. Et puis, Woz ne lui avait-il pas dit de faire son propre ordinateur s'il trouvait que 8 ports d'extension était trop pour l'Apple II ? Eh bien, Jobs va le prendre au mot.

Il est encore plein de rancune envers l'équipe Lisa. Il va alors faire en sorte que le Macintosh soit comme le Lisa, mais en mieux. Il fusionne l'idée originale de Raskin d'un ordinateur pour tout le monde avec l'interface graphique du Lisa.

Pour cela, l'équipe Macintosh doit travailler en étroite collaboration avec l'équipe du Lisa, ordinateur je le rappelle qui n'est pas encore sorti. Certains éléments seront presque les mêmes d'un ordinateur à l'autre, notamment toute la gestion de l'affichage qui est développé par Atkinson qui va travailler dans les deux équipes. D'ailleurs, les logiciels dont il est l'auteur seront portés sur le Macintosh.

Cependant, Jobs a pour objectif de faire comme le Lisa, mais en mieux. Donc il aura à cœur de ne pas répéter ce qu'il considère comme des erreurs comme le fait qu'il soit trop lent ou avec un prix trop élevé.

La collaboration est difficile car les deux équipes ne peuvent pas se voir, à part pour Atkinson qui arrive à naviguer entre les deux. D'ailleurs, Jobs parie 5000$ avec le chef de projet Lisa que le Macintosh sortira avant. Pari au final qu'il perdra.

Le projet Macintosh a une grande importance pour Jobs. Après son éviction de l'équipe Lisa, il veut montrer à tous de quoi il est capable. Il veut démontrer à Scott et au conseil d'administration qu'il est capable de mener un projet à terme, qu'il est un bon manager. Et puis, si en passant, il pouvait humilier l'équipe Lisa comme elle l'a humilié, ce serait un bonus.

Il pense que l'équipe Lisa a eu tout faux et qu'avec le Macintosh, il va tout faire correctement, ou au moins différemment. Contrairement à l'équipe Lisa constituée de vétérans de l'industrie avec beaucoup d'expérience, l'équipe Macintosh rassemble que des gamins qui n'ont pas encore 25 ans. Pour la plupart, c'est le premier projet sur lequel ils travaillent.

Ils prennent tout cela comme une aventure, presque mystique. Jobs est trop jeune pour avoir participé au Summer of Love de 1967 et au début de la culture hippie. Le Macintosh pour lui est aussi important que la lutte contre la guerre du Vietnam ou la lutte pour les droits civiques. Le Macintosh est son combat, le Macintosh est sa croisade.

Pour montrer sa différence avec l'Apple II de Woz, le Macintosh n'aura aucune carte d'extension : impossible pour l'utilisateur d'ouvrir l'ordinateur. Jobs va jusqu'à créer des outils spécifiques pour que seuls les employés d'Apple puisse ouvrir le Macintosh qui ne peut pas alors être ouvert avec un tournevis classique.

Autre décision radicale, le clavier du Macintosh n'a pas de flèches. La seule façon de faire bouger le curseur sur un document est alors d'utiliser la souris. Ainsi, Jobs veut forcer l'utilisateur à utiliser la souris. En enlevant les flèches, il oblige aussi les développeurs d'applications de créer des logiciels spécifiquement pour le Macintosh, car ils ne pourront pas porter directement un programme venant de MS-DOS de l'IBM-PC ou de l'Apple II manipulable avec les flèches du clavier. 

Beaucoup de personnes se posent des questions sur ce que doit être l'ordinateur du futur. Certains même demandent à Jobs s'il ne devrait pas faire une étude de marché afin de savoir exactement ce que veulent les clients. Jobs est catégorique : absolument pas, les clients de toute façon ne savent pas ce qu'ils veulent tant qu'on ne leur a pas montré.

Bicycle

Dans l'esprit de Steve Jobs, repenser le Macintosh passe aussi par un changement de nom afin d'effacer totalement l'héritage de Jef Raskin.

De toute façon, le nom Macintosh n'est, au départ, qu'un nom de code de développement et il n'est pas censé être le nom du produit final. Jobs cherche alors un nom pour son ordinateur.

Dans une interview, il compare l'ordinateur à une bicyclette : l’ordinateur serait une bicyclette pour l’esprit humain, lui permettant de décupler ses possibilités comme un vélo permet à une personne d'aller plus vite et plus loin qu'à pied

Du jour au lendemain, il est demandé aux membres de l'équipe de ne plus parler du Macintosh mais du Bicyle. 

Toutes les références au Macintosh, que ce soit dans le code ou dans les manuels, doivent être remplacées par Bicyle.

Les membres de l'équipe Macintosh sont tous des rebelles, donc il est logique qu'ils refusent qu'on leur impose un nom sans leur consentement. D'autant plus qu'ils trouvent le nom « Bicycle » particulièrement stupide. Ils font tous de la résistance, et même si Jobs et Rod Holt parleront du Bicycle et reprendront tous ceux qui parlent du Macintosh, rien n'y fait. Pratiquement tous les développeurs s'obstinent à utiliser le terme Macintosh. Devant leur obstination, le nom Bicyle est abandonné au bout d'un mois.

Cependant, le terme Macintosh est toujours considéré comme un nom de code et non comme le nom commercial du produit qui sera mis en vente. Apple fait appel à une société de communication afin de trouver des noms pour le Lisa et pour le Macintosh. Payé plusieurs dizaines de milliers de dollars, l'entreprise trouve les noms Apple Allegro ou encore Apple 40 pour le Macintosh. Voyant cela, Jobs et l'équipe marketing trouve qu'au final, Lisa et Macintosh sont des noms qui font l'affaire et ils deviendront les noms officiels.

Arrivé de Andy Hertzfeld

Pour sa croisade, Jobs est prêt à tout et il ne souhaite pas perdre du temps. Prenons par exemple comment il a embauché un de ses programmeurs star, Andy Hertzfeld. Il arrive un peu plus tard que le reste de l'équipe, à peine quelques jours après le mercredi noir. Profondément choqué par tous les licenciements et par la manière dont ils ont été conduits, il pense à démissionner. Soucieux de le garder, le CEO Mike Scott le reçoit et lui demande ce qu'il peut faire pour qu'il reste. Andy répond tout simplement : je veux travailler avec Burrell Smith sur le Macintosh. En effet, les deux se connaissent bien, s'apprécient et sont amis.

Scott arrange une réunion avec Steve Jobs qui vient tout juste de mettre de côté Raskin, ce qu’ignore Hertzfeld.

Andy se méfie un peu de Jobs. Même s'il est toujours cordial avec lui, il a une mauvaise réputation. Ses colères dans les couloirs d'Apple sont légendaires, tout comme son franc-parler fleuri. Cependant, comme Hertzfeld n'a rien à lui reprocher personnellement, il accepte de le voir.

Jobs est direct, avant même de lui dire bonjour, il lui demande : "tu es bon ? On ne veut que des mecs très bons pour travailler sur le Mac, je ne suis pas sûr que tu sois assez bon pour nous rejoindre". L'entrée en matière désarçonne Hertzfeld et il essaie de se défendre comme il peut en disant qu'il pense l'être. Jobs lui demande s'il est créatif, Hertzfeld essaie là aussi de se justifier tant bien que mal. Il lui répond qu'il n'est pas le meilleur juge pour cela mais qu'il adorerait travailler sur le Mac et qu'il pense qu'il ferait du bon boulot.

Quelques heures plus tard, alors qu’il travaillait sur la dernière version du système d’exploitation de l’Apple II, Steve Jobs apparaît au-dessus de son écran.

Jobs dit : « J’ai une bonne nouvelle : tu travailles pour l’équipe Mac maintenant. Viens je vais te présenter ton nouveau bureau ».

Hertzfeld répond : « Super. J’ai juste besoin d’un ou deux jours pour finir ce que je fais et je commencerai à travailler sur le Mac lundi ».

Jobs est circonspect : « Tu bosses sur quoi ? Qu’y a-t-il de plus important que de travailler sur le Macintosh ? ».

Hertzfeld lui répond : « Je viens de commencer le prochain système pour l’Apple II. Et je voudrais finir ce que j’avais commencé pour que quelqu’un d’autre puisse continuer correctement mon travail ».

Jobs éructe : « Non, tu perds ton temps avec ça ! Qui s’intéresse à l’Apple II ? L’Apple II sera mort dans quelques années. Ton système sera obsolète avant que tu ne l’aies terminé. Le Macintosh est le futur d’Apple et tu commences à travailler dessus maintenant ! ».

Jobs joint le geste à la parole en débranchant sans ménagement l'Apple II d'Hertzfeld, lui faisant ainsi perdre tout son travail non sauvegardé. Jobs ensuite débranche le moniteur et prend le tout sous le bras et dit à Hertzfeld "suis-moi, je t'amène à ton nouveau bureau".

Les voilà ainsi partis en Mercedes, avec l'Apple II dans le coffre, vers le bâtiment où l'équipe Macintosh travaille.

En arrivant, Jobs sort l'ordinateur de son coffre et le dépose sur un bureau et dit à Hertzfeld : c'est ton bureau maintenant. 

En ouvrant les tiroirs, Hertzfeld est surpris de les trouver remplis à ras bord. Clairement, c'est le bureau de quelqu'un : on y trouve du matériel photographique et des avions télécommandés. Plus tard, il se rendra compte que Steve Jobs lui a donné le bureau de Jef Raskin qui n'avait pas eu le temps de récupérer ses affaires. 

Calculatrice

Le développement du Macintosh est assez chaotique. Cela est notamment dû au comportement de Steve Jobs qui micro manage absolument tout. Il n'arrive pas à déléguer. Il passe énormément de temps sur des détails, comme par exemple la barre de titre qui se trouve en haut de chaque application. Il demande plus de 20 versions à Susan Kare qui commence à en avoir marre. Quand elle et Atkinson se plaignent de perdre autant de temps sur ces détails, Jobs éructe : "Vous imaginez regarder ça tous les jours ? Ce n'est pas une petite chose, c'est quelque chose que nous devons faire correctement."

Pour illustrer son goût du détail, prenons l'exemple du logiciel simulant une calculatrice qui doit être livré avec le Mac. Le développeur, Chris Espinosa, montre régulièrement à Jobs l'état de développement. Cependant, à chaque nouvelle version, Jobs fait de nombreuses critiques et demande à ce que certains éléments soient modifiés : une barre plus foncée ici, une police de caractères des chiffres à changer là, des boutons plus gros, et j'en passe.

La patience d'Espinosa a des limites. Il ne veut plus passer son temps à redessiner l'application, tout cela pour prendre en pleine poire les remarques désobligeantes de Jobs, quand il pourrait faire quelque chose de plus productif. D'autant plus que d'une version à l'autre, certaines remarques peuvent être contradictoires. Espinosa a alors une idée de génie. Il décide de programmer un logiciel qui permet à Jobs de choisir lui-même le design de l'application. Le logiciel est ultra complet, il permet de sélectionner la taille des boutons, l'épaisseur des lignes, etc. Steve Jobs est aux anges : il s’amuse avec le logiciel pendant 10 minutes jusqu’au moment où il est satisfait du résultat. Tellement satisfait qu’il restera le même dans les différentes versions du système Mac pendant plusieurs années, jusqu’à Mac OS 9 sorti 1999.

Jolie carte mère

Ce souci du détail et du design se retrouve partout chez Steve Jobs, même pour le matériel.

Alors que Burrell Smith présente les derniers plans de la carte mère du Macintosh, Jobs se permet de les critiquer sur des critères purement esthétiques, indiquant aimer une partie et trouvant une autre partie « moche ». Un ingénieur lui répond que l'esthétique n'est pas le but en électronique, que ce qui compte est que tout fonctionne correctement. La réponse ne satisfait pas Jobs qui lui répond : « Mais moi je vais le voir ! Il faut que cela soit aussi beau que possible, même si personne ne le voit. Un menuisier choisira le meilleur bois pour le dos d’un meuble, même si personne ne s’en aperçoit ».

S'en suit une discussion animée où les ingénieurs argumentent que la partie que veut changer Jobs est très importante. S'ils suivent les directives de Jobs, cela va éloigner les modules mémoires du processeur et ainsi rendre l'ordinateur moins performant.

Qu'importe, c'est Jobs le patron. Il demande à ce que soit fait un prototype suivant ses demandes. S'il fonctionne moins bien que celui de Smith, alors il sera abandonné.

Logiquement, la carte redessinée fonctionne moins bien que celle de Smith, dont c'est le métier. Et voilà 5000$ et une semaine de travail gâchée pour rien.

Lecteur de disquettes

Après ce genre de mésaventure, on peut comprendre que certains dans l'équipe Macintosh écoute Jobs d'une seule oreille. C'est le cas quand il a fallu choisir un lecteur de disquettes pour le Macintosh. Le Macintosh n’a pas de disque dur donc il est donc très important que son lecteur de disquettes soit excellent, comme c'est le cas pour l'Apple IILe Lisa en a un, appelé Twiggy, mais celui-ci fonctionne mal. Il est prévu que le Mac récupère ce même lecteur mais il est rapidement évident qu'il est loin d'être prêtEn plus de ne pas être fiable que ce soit en lecture ou en écriture, il est très couteux à produirePire : sur la chaîne de production, plus de la moitié qui sortent neufs ne fonctionnent pas. Il est alors urgent de trouver une solution de repli. Sony est une possibilité, la société vient d'inventer un nouveau type de disquette, plus petite (3,5 pouces au lieu des 5 pouces un quart du Twiggy). L'équipe Macintosh est agréablement surprise. Non seulement la disquette est plus petite (elle peut tenir dans une poche), elle est aussi plus solide. Enfin, le lecteur est aussi plus rapide et fiable que celui du Twiggy.

Néanmoins, Jobs pense qu'Apple peut mieux faire de son côté. Comme d'habitude, il croît que ses ingénieurs sont tous bien plus intelligents que les autres. Il oublie un peu rapidement que s'il est en train de chercher un lecteur de disquettes, c'est parce que ses propres ingénieurs sont incapables d'en faire un correct. Bref. 

Jobs signe un partenariat avec Alps Electric qui produit les lecteurs de disquettes de l'Apple II. Il a comme idée de copier le lecteur de Sony mais en le produisant beaucoup moins cher. Néanmoins, les ingénieurs de l'équipe Macintosh ne croient pas que cela puisse fonctionner dans les temps. Ils ne pensent pas que le lecteur sera prêt à temps. Ils prennent alors une décision radicale : ils décident de travailler directement avec Sony, dans le dos de Jobs. 

En effet, nous sommes en 1983 et les ingénieurs commencent à bien connaître Jobs et son champ de distorsion de réalité. Ils savent qu'ils peuvent parfois ignorer ce qu'il dit, à condition d'avoir raison par la suite. Si c'est le cas, Jobs appréciera alors leur attitude rebelle d'autant plus si c'est pour le bien du Macintosh.

Pour que ce partenariat de l'ombre entre Apple et Sony fonctionne, il faut qu'un ingénieur japonais soit sur place en Californie pour travailler. C'est le cas de Hide Kamoto. Rappelons que Jobs n'est pas censé savoir ce qui se trame. Donc l'équipe Macintosh met tout en œuvre pour cacher Kamoto pour éviter qu'il le croise. Cependant, un jour Jobs vient faire une visite impromptue dans les bureaux de l'équipe Macintosh alors que Kamoto est présent. L'ingénieur japonais est alors jeté sans ménagement par George Crow dans un placard pour le cacher. Une fois Jobs parti, George s'excuse platement et Kamoto lui répond : "pas de problème, mais les pratiques commerciales américaines sont très étranges, vraiment très étranges".

Comme l'avait anticipé les ingénieurs du Macintosh, Alps Electric annonce qu'il ne pourra pas produire les lecteurs de disquettes à la date prévue. Le retard sera de 18 mois. Avant que tout le monde panique, Crow révèle le pot aux roses en annonçant qu'il travaille en secret avec Sony et qu'il a déjà un prototype de Macintosh qui fonctionne avec le lecteur.

Tout le monde scrute la réaction de Jobs qui finalement remercie Crow de sa prévoyance.

Le lecteur de disquettes 3,5 pouces est ainsi livré avec le Macintosh, le popularisant dans toute l'industrie où il deviendra le standard pendant plus de 20 ans.

Design

Pour le design du Macintosh, Jobs embauche les designers Jerry Manock et Terry Oyama. Il veut un ordinateur différent de tous les autres. Mais en même temps, il veut une apparence classique, hors du temps, qui n'est pas à la mode et donc qui ne sera jamais démodé. En discutant avec un designer, il prend comme référence le coccinelle de Volkwagen. Le designer répond en disant que les lignes doivent être aussi voluptueuses que celles d'une Ferrari. Jobs, qui adore les voitures, continue : "Non, pas comme une Ferrari, plus comme une Porsche !". Pas étonnant, à l'époque Jobs possédait une Porsche 928 (qui, soit dit en passant, n'est pas la plus réussie). 

Quand Jobs prend la tête du projet, il oublie l'idée de la machine qui peut se refermer afin d'être transporté, même si elle garde une poignée sur le haut. Il veut un ordinateur qui prenne le moins de place possible sur le bureau. Pour montrer ce qu'il veut dire aux designers, il prend un annuaire et demande à ce que le Macintosh ne dépasse pas ces dimensions. Pour prendre en compte ces contraintes, il est décidé de faire un ordinateur vertical, avec un écran au-dessus du lecteur de disquettes lui-même positionné au-dessus de la carte mère. En effet, généralement, le lecteur de disquettes se trouve sur le côté comme on a pu le voir pour le Lisa ou encore l'Apple III. Le clavier quand à lui est détachable contrairement aux souhaits de Raskin.

Les designers font plusieurs modèles en plâtre mais Jobs n'est pas satisfait. Il trouve qu'il n'a pas assez de courbe et je cite : "Le rayon du premier chanfrein doit être plus grand, et je n'aime pas la taille du biseau". Montrant ainsi sa maitrise du design industriel. Prévoyant, les designers décident à chaque fois de garder tous les modèles en plâtre, montrant ainsi l'évolution et évitant que Jobs leur fasse des remarques qui n'ont pas lieu d'être.

Quand un produit industriel est créé, il y a un ensemble de contraintes à prendre en compte qui n'est pas forcément visible par le client. Par exemple, il faut que le casier soit facile à fabriquer et cela pour le moins cher possible. C'est facilité par le fait que le Macintosh est disponible en une seule configuration.

Ensuite, il faut que l'ordinateur soit le plus simple à utiliser. Comme un grille-pain, il suffit juste de le brancher et d'appuyer sur un bouton pour que tout fonctionne. Dans le même esprit, tout doit être intégré dans le casier. Le Mac est conçu pour être le premier ordinateur tout-en-un avec l'écran, le lecteur disquettes et tous les circuits intégrés dans un même casier. Seuls le clavier et la souris sont détachables, la souris se branchant à l'arrière.

Jobs refuse de permettre le branchement de cartes d'extension sur le Macintosh. Il se démarque ainsi complètement de l'Apple II et de la vision de l'informatique de Woz. Même si le succès de l'Apple II vient en grande partie de ces cartes d'extension, Jobs n'en veut pas. Chris Espinosa dira d'ailleurs : "rejeter tout ce qu’a fait Woz était une grosse partie de la motivation pour le Mac".

Pour le casier, Jobs continue dans la lignée de ce qui avait été décidé pour l'Apple II, c'est-à-dire essayer de s'approcher de la qualité des casiers en plastique des robots ménagers. Le plastique ABS est donc choisi, c'est un matériel très connu maintenant, il est par exemple utilisé par LEGO pour ses célèbres briques. De ce fait, le Mac sera beaucoup plus résistant aux rayures et à la décoloration dû au soleil. En effet, les Apple II avaient la fâcheuse tendance à changer de couleur au fur et à mesure du temps, prenant une teinte un peu orangé, chose que détestait Jobs. 

Pour mieux résister à cette décoloration dû aux UV, le Mac sera beige, une première pour un ordinateur. Cela lancera la mode des ordinateurs beiges pour les deux décennies à venir jusqu'à ce que l'iMac change tout cela.

Afin d'être le plus convivial possible, Jobs veut que le design soit un peu anthropomorphique. Les ordinateurs font encore peur à l'époque, donc Jobs veut remplacer cette émotion négative par la curiosité, voire par l'empathie. Il veut que le Mac ressemble un peu à un visage : l'écran forme les yeux, le lecteur de disquettes une bouche avec un sourire en coin et enfin le renfoncement pour laisser la place pour le clavier sous le Mac peut faire penser à un menton.

La souris est dessinée afin de rappeler elle aussi la forme du Mac, avec le bouton qui a des proportions similaires à l'écran. Le bouton marche/arrêt quant à lui est situé au dos de la machine afin d'éviter de l'utiliser par inadvertance. Comble du raffinement, comme il n'est pas possible de voir le bouton quand on est face à l'ordinateur, une zone plus douce autour de lui est usinée afin de le trouver plus facilement au toucher.

Je n'ai pas réussi à trouver une autre source que celle dans le livre Revolution in The Valley. Mais dans ce livre, quelqu'un fait le rapprochement entre le design du haut du Macintosh avec sa poignée avec le design du Minitel bien de chez nous. Peut-être que Jobs a été inspiré par le Minitel alors qu'il est venu à Paris au début des années 80 ? C'est possible.

Snow White

Par la suite, Jobs voudra créer un vrai langage de design pour toutes les machines d'Apple. En effet, l'Apple II ne ressemble en rien à l'Apple III qui est différent du Lisa qui lui-même n'a rien à voir avec le Macintosh. Pour cela, il compte embaucher un designer de renom, dans le but de faire comme Braun avec le maître Dieter Rams. Le projet s'appelle Snow White, soit Blanche Neige, car il compte donner comme nom de code aux différents produits les noms des nains. Le designer choisi est Hartmut Esslinger, un designer allemand qui a dessiné la TV de Sony Trinitron (et le piano Bösendorfer qui trône fièrement dans l'atrium). À l'époque, Sony est la marque de référence concernant le design de produit grand public.

Jobs tombe sous le charme d'un des design proposé avec un casier blanc, des courbures et des lignes pour améliorer la ventilation et donnant du style. Le design sera directement adopté pour l'Apple IIc.

Esslinger est embauché et sa société, frogdesign, va travailler avec Apple pendant plus de 10 ans.

Rectangles arrondis

Outre le design du matériel, le design du logiciel est lui aussi important. Or, les contraintes techniques sont énormes : le processeur n'est pas très puissant et la quantité de RAM est limitée (pour information, la RAM du premier Macintosh n'est pas suffisante pour stocker une seule de vos photos).

Mais la nécessité est la mère de l'invention. Toutes ces contraintes poussent les développeurs dans leurs retranchements et ils font des petits miracles. C'est le cas du génial Bill Atkinson qui trouve une technique pour dessiner des cercles à l'écran. Normalement, pour dessiner des courbes en informatique, le plus simple est d'utiliser un calcul à base de racines carré. Or, le processeur 68000 présent dans le Lisa et le Macintosh ne peut pas faire ce genre de calcul, notamment car il ne gère pas les chiffres à virgule. Atkinson arrive tout de même à s'en sortir quand il tombe sur un article démontrant qu'on peut faire des courbes juste en faisant des calculs à base d'addition et de soustraction.

Fier de lui, il montre à toute l'équipe le fruit de son travail en affichant instantanément des cercles et ovales sur tout l'écran. Tout le monde est sidéré de voir ce qui était considéré jusqu'alors comme impossible. Tout le monde ? Évidemmentque non, Jobs lui n'est pas impressionné (sans doute parce qu'il ne comprend la difficulté technique derrière cet exploit). Il dit à Atkinson : les cercles et les ovales, c'est bien, mais tu peux afficher des rectangles aux coins arrondis ?

Atkinson est déçu du peu d'enthousiasme de son patron et répond avec un certain agacement : "non, je ne peux pas le faire. D’ailleurs, ce serait très difficile et je ne pense pas qu’on en a besoin". Ce à quoi Jobs répond avec énergie : "les rectangles aux coins arrondis sont partout ! Regarde autour de toi !". Joignant le geste à la parole, il pointe du doigt le tableau blanc dans la pièce, les différentes tables et bureaux présents. Tout ce qu'il montre est un rectangle aux coins arrondis.

Mais il ne s'arrête pas là. Il demande à Atkinson de le suivre dehors pour lui montrer tous les rectangles arrondis qu'il croise, et ils sont nombreux. Atkinson s'avoue vaincu devant un panneau de signalisation d'interdiction de stationner et se met au travail. 

Le lendemain, il montre à toute l'équipe la même demo mais cette fois-ci c'est des rectangles aux coins arrondis qui sont affichés sur l'écran. Cette fonction, appelée RoundRects, va être utilisée dans toute l'interface du Macintosh : des fenêtres aux boutons, elle dessinera une bonne partie de l'interface.

Depuis, on retrouve des rectangles aux coins arrondis partout chez Apple. Les Mac, que ce soit les différents iMac, Mac mini ou les ordinateurs portables, l'Apple TV, tous les iPod, iPad et iPhone : ils sont tous des rectangles aux coins arrondis. Les icônes des applications sur macOS, iOS, iPadOS, tvOS sont aussi des rectangles aux coins arrondis. Steve Jobs avait raison : ils sont partout.

Reconnaissance des artistes

Àpropos de Bill Atkinson dont le travail est central dans le développement du Macintosh, il se trouve qu'il est très déçu. En effet, lors d'une interview, il n'est pas cité comme l'un des designers du Lisa. Cela le peine profondément, d'autant plus que cela lui est déjà arrivé par le passé. Alors dans un laboratoire de recherche, il avait créé une animation 3D du cerveau humain. La vidéo avait fait le tour du monde, jusqu'à recevoir des prix. Malheureusement, Atkinson n'a jamais été reconnu pour son travail, celui ayant récolté les lauriers étant son maître de recherche.

Atkinson a peur que cela se répète avec le Macintosh et menace de démissionner si son travail n'est pas reconnu à sa juste valeur. Jobs essaie de le calmer et trouve une solution. Premièrement, Atkinson est nommé Apple Fellow pour récompenser son travail exceptionnel sur le Lisa. C'est un grand honneur : seuls Steve Wozniak et Rod Holt sont alors Apple Fellow. En plus du titre, cela amène son lot de stock options. 

Deuxièmement, et peut-être est-ce plus important, Steve Jobs promet à Bill Atkinson qu'il sera reconnu publiquement comme l'un des créateurs du Macintosh. Les logiciels de l'ordinateur ont un sous-menu à propos, et le nom d'Atkinson y apparaitra pour les logiciels qu'il a conçus comme MacPaint.

Troisièmement, Jobs promet que les noms des concepteurs du Macintosh seront cités lors de sa première présentation publique. Et il tiendra sa promesse en citant l'équipe de design du Macintosh qui est constitué de sept personnes : George Crow, Joanna Hoffman, Burrell Smith, Andy Hertzfeld, Bill Atkinson et Jerry Manock.

Cette reconnaissance des programmeurs est quelque chose d'unique en son genre, encore aujourd'hui. Impossible de nos jours de savoir qui sont les programmeurs qui ont développé les logiciels d'Apple.

C'était aussi le cas dans les années 80 où les programmeurs étaient considérés comme des pièces interchangeables. À tel point que certains se sont rebellés. Par exemple, l'origine d'un des premiers Easter Egg vient de ce manque de reconnaissance. Un Easter Egg, littéralement œuf de Pâques, est en informatique une fonction cachée. La toute première apparition du terme Easter Egg dans ce contexte se trouve dans un jeu vidéo d'Atari nommé Adventure sorti en 1979 sur Atari 2600.

Comme je le disais, le nom des programmeurs n'était pas affiché dans les jeux Atari. Qu'à cela ne tienne, le programmeur Warren Robinett inclus le message suivant dans le jeu : "Created by Warren Robinett". Pour accéder à ce message, il fallait amener le personnage sur un pixel précis de l'écran à un moment précis dans un endroit censé ne pas être accessible au joueur. 

Aujourd'hui, dans la boite de dialogue à propos des logiciels Apple, aucun nom de développeur n'est mentionné. C'est dire à quel point l'honneur était grand pour l'équipe Macintosh et Atkinson en particulier. 

Autre reconnaissance : à l'intérieur de tous les Macintosh, on retrouve les signatures de ceux qui ont participé à son développement.

Profitons-en pour raconter une autre anecdote en lien avec la reconnaissance publique des développeurs. L'équipe Macintosh est envoyé à New-York afin que Newsweek puisse faire un article. Dans l'avion de retour, alors que le numéro du magazine est sorti avec notamment une photo de toute l'équipe du Macintosh, des stewards reconnaissent Hertzfeld et Smith et demandent des autographes. Hertzfeld trouve ça bizarre, il est assez mal à l'aise mais signe tout même la photo où il apparait et s'endort en écoutant son walkman. Puis un deuxième steward fait la même demande 20 minutes plus tard, puis un troisième. Hertzfeld pense qu'il y a quelque chose qui cloche et c'est à ce moment-là qu'il se rappelle que Woz est sur le même vol. Pour en avoir le cœur net, il se lève pour aller le voir. Il l'aperçoit alors en train de parler aux stewards leur demandant de demander un autographe en le pointant du doigt. Le voyant, Woz éclate de rire et Andy aussi. Même à plus de 30 ans et multimillionnaire, Woz ne change pas et fait toujours des canulars.

Calligraphie

Parmi les artistes qui seront reconnus par Jobs, nous pouvons citer Susan Kare qui créera, entre autres, les différentes polices de caractères présentes dans le système du Macintosh. Comme nous l'avons abordé dans le premier épisode, Jobs a pris des cours de calligraphie lors de son court séjour à l'université de Reed. Il a appris alors les différences entre les polices de caractère comme le serif et le sans serif, la gestion des espaces entre les lettres (aussi appelé kerning), etc. Lors du développement du Macintosh, tout cela lui revient en mémoire. En effet, grâce à la gestion de l'affichage bitmap, il est possible de proposer à l'utilisateur différentes polices de caractères, chose impossible sur l'Apple II par exemple. Jobs demande à Susan Kare de créer plusieurs polices car il ne voulait pas payer pour avoir le droit d'utiliser des polices existantes. Kare et Hertzfeld étant originaire de Philadelphie, ils décident de donner des noms de police en rapport avec les noms d'arrêt de train de la ville comme Overbrook, Merion ou encore Rosemont. 

Jobs n'est pas convaincu par ces noms provinciaux alors il demande qu'ils soient changés par des noms de villes connues mondialement comme Chicago, New York, Geneva, London et encore Venice, seule police de caractère faite par Atkinson.

En parlant de calligraphie, il faut choisir avec précision quel type de police à utiliser, d'autant plus avec la résolution plutôt limitée du Macintosh. Par exemple, le bouton de validation, au départ, avait écrit dessus Do It. Or, le i majuscule ressemble beaucoup au L minuscule. À tel point que certains dans l'équipe croient voir le mot Dolt au lieu de Do It. Pour ceux qui ne le savent pas, Dolt veut dire imbécile en anglais. Du coup, certains développeurs ont demandé pourquoi régulièrement il fallait cliquer sur un bouton les traitant d'imbécile. Pour éviter cette confusion, le bouton de validation aura pour mot Ok au lieu de Do It.

Command Key

Susan Kare va jouer un rôle très important dans le design graphique du Macintosh et aura une grande influence sur le long terme. C'est le cas quand l'équipe Macintosh crée une touche spéciale afin de lancer le menu directement depuis le clavier, à l'instar du Lisa. Les développeurs appellent cette touche la touche Apple. Par exemple, la touche Apple associé à la touche C permet de copier, et cela sur tout le système. Pour aider les utilisateurs à se rappeler des raccourcis clavier, chaque commande dans les menus affiche à sa droite le raccourci correspondant, comme c'est le cas encore aujourd'hui. Ainsi, dans les menus, le logo Apple apparait partout pour montrer les raccourcis. 

Un jour, Jobs entre furax dans le bureau des développeurs. Il vient de tester pour la première fois le logiciel MacDraw qui possède beaucoup de menus. Il trouve que le logo Apple apparait beaucoup trop souvent à l'écran. Il pense que le logo est trop utilisé et qu'il va perdre de son lustre s'il apparait autant. Il demande aux développeurs d'arrêter. Ils doivent trouver un autre symbole pour la touche commande. 

La recherche doit se terminer rapidement car cela va toucher les manuels ainsi que la production du clavier. Ils ont donc à peine quelque jours pour trouver un symbole.

C'est là qu'entre en jeu Susan Kare qui possède un livre sur les symboles internationaux. Alors qu'elle le feuillette, elle tombe sur un symbole qu'elle trouve original et beau utilisé au départ sur les cartes suédoises pour indiquer un site important. C'est ainsi qu'a été choisi le symbole de la touche Command sur le Macintosh.

Sauver des vies et management

Steve Jobs fait absolument tout le tour du Macintosh afin qu'il soit parfait. Outre le choix des icônes de menu, Jobs s'attaque au temps de démarrage. Il considère c'est beaucoup trop long, cela prend presque deux minutes. Quand l'ingénieur en charge lui explique pourquoi cela prend autant de temps (il faut tester la mémoire, mettre en route le système d'exploitation puis charger le Finder), Jobs le coupe : si cela pouvait sauver la vie d'une personne, est-ce qu'il pourrait trouver un moyen de gagner dix secondes sur le temps de démarrage ? L'ingénieur répond que probablement que oui. Jobs fait alors une démonstration sur un tableau et lui montre que si 5 millions de personnes utilisent un Mac et qu'il prend 10 secondes de moins à démarrer tous les jours, cela fait 50 millions de secondes par jour, soit probablement une douzaine de vie par an. (Si on fait le calcul, cela fait 578 années de gagner par an. Si on prend une espérance de vie de 75 ans comme c'est le cas aux États-Unis au début des années 80, cela fait 7,7 vies de gagné et non 12, peut-être que Jobs est secrètement un peu marseillais ?). Bref, l'ingénieur est impressionné par la démonstration et réussit par la suite à faire gagner du temps au démarrage. 

Comme on a pu le constater, le management de Jobs est particulier. Il pousse ses employés au maximum, même au-delà ce qu'ils pensent être possible. La plupart ayant travaillé avec lui disent que c'est sous sa direction qu'ils ont fait le meilleur travail de leur vie. 

La plupart des membres de l'équipe sont des jeunes qui ont entre 20 et 30 ans et qui n'ont pas d'obligations familiales. Le Macintosh est toute leur vie et ils n'hésitent pas à travailler tout le temps, s'arrêtant juste pour manger et dormir. Il n'est pas rare de voir des ingénieurs travailler tard la nuit dans les bureaux, même au-delà de 11 heures du soir. 

Pour commémorer leurs efforts surhumains, un sweatshirt est créé. En effet, dans une interview, Jobs s'enorgueillit que les membres de l'équipe Macintosh travaillent 90 heures par semaine. Sur le sweatshirt apparait alors la phrase : “90 Hours a Week and Loving It.” 90 heures par jour et on adore ça avec le nom Macintosh en rouge mais avec une faute d'orthographe MACK, comme dans l'article du Time, avec un trait sur le K pour corriger l'erreur. Comme c'était un sweatshirt de qualité, et gratuit, beaucoup de membres de l'équipe le portent régulièrement, y compris Burrell Smith. 

Quand il quitte Apple en 1985, Smith garde son sweatshirt mais le modifie : il met une énorme croix sur le 9 pour montrer qu'il travaille 0 heure par semaine.

Jobs fait tout pour que les membres de l'équipe Macintosh travaillent le plus possible. Quand en fin d'après-midi, il arrive dans des bureaux vides, il demande des explications. Hertzfeld et Smith lui expliquent qu'ils prennent une pause à 16 heures pour s'acheter des sodas dans la station d'essence en face de leur bâtiment, expliquant ainsi leur absence.

Jobs n'aime pas ça donc il achète un frigo pour y entreposer des sodas afin qu'ils n'aient plus à sortir de leurs bureaux. Quand l'équipe grandit, les avantages deviennent plus importants, notamment avec un déménagement dans des locaux plus luxueux.

Àce moment-là, Jobs se dit que les sodas ne sont pas bons pour la santé et décide de les remplacer par des jus de fruit fraichement pressés, remplacés tous les matins.

C'est à peu près à cette époque que Jobs prend une mauvaise habitude. Le personnel d'Apple grandit de manière exponentielle et les places de parking sont rapidement prises d'assaut. Cela n'empêche Jobs de trouver une place de parking proche de l'entrée : il décide tout naturellement de se garder sur la place handicapée, habitude qu'il gardera jusqu'à sa mort. Les employés d'Apple sont habitués : s'ils voient une Mercedes sur une place handicapée, il y a de fortes chances que ce soit Jobs. Le voyant se garer ainsi, Jean-Louis Gassée se serait alors exclamé : oh, je ne savais pas que ces places étaient pour les handicapés émotionnels ! Propos d'ailleurs que m'a confirmé Jean-Louis Gassée lui-même.

Pour continuer sur les habitudes bizarres de Jobs, il trouve le coupé SL de Mercedes particulièrement à son goût. Il est reconnaissable entre tous car il n'a jamais de plaque d'immatriculation. Alors que des rumeurs disent que c'est pour éviter de prendre des amendes quand il se gare sur les places handicapées, la raison est plus simple. En Californie, vous avez 6 mois pour mettre une plaque d'immatriculation quand vous changez de voiture. Jobs en profite pour changer de voiture tous les 6 mois, toujours une Mercedes SL55 AMG, lui permettant ainsi de ne jamais avoir de plaque. Une de ses rares lubies de milliardaire, lui qui vit relativement simplement, en tout cas beaucoup plus simplement que d'autres milliardaires.

Jobs casse le Lisa à sa sortie

Le Lisa sort en 1983, un an avant le Macintosh. Jobs étant l'incarnation publique d'Apple, il participe à sa sortie en grande pompe à New York. Cependant, même s'il ne devait pas mentionner le Macintosh, il ne peut s'en empêcher en disant que bientôt, Apple sortira une version moins chère et moins puissante du Lisa qui s'appelle le Macintosh, en ajoutant que les deux ne seront pas compatibles. C'est un peu un coup de poignard dans le dos pour le Lisa.

Ce n'est pas la première fois que le Macintosh est abordé. La Silicon Valley bruisse de rumeurs d'un ordinateur comme le Lisa mais pour 10 fois moins cher. La source de ces rumeurs n'est autre que Jobs. La direction d'Apple n'est pas contente, on dit même en haut lieu : c'est un étrange navire qui fuite par le haut.

Production

Une fois le Lisa sorti, Jobs doit se dépêcher afin que le Macintosh voit enfin le jour. Pour cela, il se penche sur le problème de la production. Pour produire l'Apple II, Apple utilise des sous-traitants. Les pièces sont stockées en Californie pour être envoyées à Singapour afin d'être assemblées à la main puis renvoyé à Dallas pour l'assemblage final. La production prend en tout 10 semaines et est loin d'être optimale.

Pour le Macintosh, cela sera différent. Jobs veut construire une usine dernier cri totalement automatisée où tout se fera sur place. Le stock sera le plus petit possible car l'usine utilisera le système juste à temps à la mode au Japon sous le nom de kanban, où le stock de pièces est suffisant pour un jour de production. Ainsi, tout est à flux tendu. Pas de stock et surtout une très grande flexibilité car la production peut répondre rapidement aux demandes du marché au lieu de faire des projections plusieurs mois à l'avance.

L'usine est construite à Dallas, proche de l'usine d'assemblage de l'Apple II. Ce n'est pas un hasard : Markkula a peur que les ventes de l'Apple II chutent, si c'est le cas, les employés pourront migrer sur le site de production du Macintosh sans avoir besoin de licencier qui que ce soit, ce qui serait un mauvais message envoyé aux investisseurs.

Jobs bouillonne d'idées, la plupart farfelues et ignorées par la direction. De toute façon, comme personne ne les notent, Jobs le premier, la plupart sont oubliées, même par Jobs. L'entourage prend l'habitude de garder en tête que les idées les plus intéressantes et d'ignorer le reste (comme le fait d'embauche un architecte d'intérieur pour l'usine...).

Prix

Mais avant de lancer la production dans une usine dernier cri, il faut trouver un prix pour le Macintosh. Il faut que celui-ci soit abordable si Apple veut toucher le grand public, objectif initial du Macintosh. Raskin avait dans un premier temps fixer un prix de 500$, prix qui a rapidement gonflé à 1000$.

Néanmoins, au fur et à mesure du développement, les coûts ont augmenté. Le passage du processeur 6809 au 68000 ainsi que le doublement de la RAM de 64ko à 128ko en sont des exemples. Finalement, tout le monde pense que le prix doit être 1500$.

Toute l'équipe Macintosh pense que c'est le prix maximum. D'abord parce que c'est le prix de lancement de l'Apple II mais aussi parce qu'ils ont peur qu'en dépassant ce prix, le grand public visé n'aura pas les moyens pour l'acheter.

Malheureusement, des problèmes de dernière minute font monter le prix à 1995$. Par exemple, le lecteur de disquettes de Sony coûte 50$ plus cher que le lecteur Twiggy.

Et puis c'est le coup de grâce. Le tout nouveau CEO d'Apple, John Sculley, vient tout juste d'être nommé. Quand Jobs lui présente la version définitive du Macintosh avec son prix de 1995$, Sculley décide unilatéralement d'augmenter son prix de 500$ afin de financer une grande campagne marketing. Le prix de 2495$ permet aussi d'avoir une plus grande différence de prix entre le Macintosh et l'Apple IIe, évitant ainsi la confusion chez les clients et la cannibalisation des ventes.

La surprise est grande dans l'équipe Macintosh : ils sont totalement dévastés. Le projet pour lequel ils ont travaillé si dur, notamment pour qu'il soit abordable, est vidé de son sens. Je rappelle que 2500$ en 1984 correspond à plus de 7000$ de 2023 si on prend en compte l'inflation. L'ironie du sort est que la plupart des créateurs du Macintosh n'auront même pas les moyens de s'en acheter un. Ce prix est une véritable trahison de l'idée initiale. 

Le lancement du Macintosh ne s'annonce pas sous les meilleurs auspices.